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Il était une fois le Kurdistan: La patrie d’un peuple oublié

Chems Eddine Chitour   /   31 октября 2017 года

«La sainteté ne vient ni du turban, ni de la barbe, mais du coeur.» Proverbe kurde

Il est une énigme, celle du peuple kurde à qui les hasards de l’histoire n’ont pas rendu justice. Ce peuple a souvent servi de variable d’ajustement dans les grandes négociations et a souffert d’un atavisme destructeur, celui d’être politiquement atomisé n’ayant pas eu de leader fasciné par la nécessité d’un destin commun par-delà les frontières. Dans cette contribution après la présentation rapide du peuple kurde, nous allons ôter le voile sur le sort des quatre entités kurdes réparties sur les quatre pays qui abritent ce même peuple. Ce peuple a fait l’objet d’une omerta       voire d’une énigmatique conspiration du silence. L’une des rares voies à leur rendre  justice est celle de Danielle Mitterand la femme de l’ancien président de la république française. Suite à son décès en novembre 2012, les Kurdes lui rendirent hommage. « Très aimée des dirigeants kurdes, Danielle Mitterrand était en effet,  considérée comme la meilleure amie des Kurdes, rappelle le site d’informations kurde AK News. La présidente de la fondation France Libertés avait beaucoup oeuvré pour faire connaître la cause des Kurdes en France. Elle avait aussi contribué à réconcilier entre eux les différentes factions kurdes.

Brève histoire du peuple kurde

L’encyclopédie Wikipédia nous apprend que Les Kurdes sont un peuple iranien, descendant des Mèdes comptant approximativement entre 25 et 37 millions de personnes, vivant surtout en Turquie (entre 11,5 et 20 millions), en Iran (environ 7 millions), en Irak (environ 6 millions) et en Syrie (environ 2 millions). Il existe également d’importantes communautés kurdes en Arménie, au Haut-Karabagh, en Azerbaïdjan, au Liban, au Koweït, en Israël, en Grèce, en Algérie, en Russie. Depuis un siècle, certains Kurdes luttent pour leur autodétermination, afin d’avoir leur propre patrie, le Kurdistan. Tous les États qui abritent une communauté non-négligeable de Kurdes s’opposent activement à la création d’un État kurde, craignant de devoir abandonner une partie de leur territoire national. Les Kurdes parlent des dialectes proches les uns des autres, tous issus du kurde, langue indo-européenne de la branche iranienne. La majorité des Kurdes est sunnite (80%), mais il existe d’autres communautés, alévie, yézidie, juive (actuellement en Israël) et dans une plus faible proportion, chiite et chrétienne, en Irak et en Iran. La première apparition d’une culture distincte et unie et d’un peuple vivant dans les montagnes du Kurdistan date de la culture Halaf, dans la première moitié du VIe millénaire av. J.-C. (6000-5400 av. J.-C.). Elle est suivie par la culture hourrite, de 2300 à 1300 av. J.-C. environ. (…)Tous ces passages ont laissé des traces, depuis 4000 ans, dans la culture kurde. Bien plus tard, l’émir Bedir Khan fonde un royaume qui s’étend entre 1844 et 1846 de la Perse jusqu’au Tigre.

Les Kurdes d’Iran

Quelque soit leur lieu d’existence,  à cheval sur les qutre pays, les Kurdes ont toujour voulu être autonomes. On connait le calvaire des Kurdes « Ottomans » après les accords de Sykes Picot suivis  du traité de Lausanne en 1923. Pour leur part,   en janvier 1946, les Kurdes d’Iran proclament à Mahabad la République de Mahabad, mais l’année suivante, celle-ci est écrasée par le chah d’Iran, Mohammad Reza Pahlavi qui veut instaurer un État centralisé, quand en 1941, les Anglais et les Russes envahissent l’Iran. Azerbaïdjanais et Kurdes s’organisent. Ils proclament en 1945, la République de Mohabad, elle durera un an jusqu’à ce que les troupes du Chah y pénètrent et exécutent les dirigeants. Mustapha Barzani et une centaine d’hommes se réfugient en URSS.

« Pour la période récente, depuis plusieurs semaines, les militaires iraniens n’hésitent pas à franchir la frontière irakienne pour traquer des militants kurdes. Une offensive passée inaperçue mais qui a déjà fait plusieurs morts. La région est le théâtre d’une guerre non déclarée. Les deux camps déplorent de nouvelles victimes tous les jours et la Croix-Rouge internationale estime à au moins 160 le nombre de familles contraintes d’évacuer leurs villages du Kurdistan irakien [région autonome du nord de l’Irak]. Ces habitants sont devenus des réfugiés. (…) La République islamique d’Iran justifie ces incursions en territoire irakien en affirmant qu’il s’agit de lutter contre un ´´groupe armé´´ ou ´´sécessionniste´´ semblable au Joundallah’ ».

Les Kurdes d’Irak

À la tête d’une insurrection armée, Mustapha Barzani, chef historique du mouvement national kurde d’Irak, obtient en 1970 la reconnaissance de l’autonomie des Kurdes par la signature d’un traité. Mais ce traité ne sera jamais respecté par l’Irak, dirigé par Saddam Hussein. De février à septembre 1988, le gouvernement irakien mène une campagne de génocide contre les Kurdes. L’épisode le plus connu de cette opération est le massacre des habitants de la la ville de Halabja (au nord de l’Irak dans la province d’As-Sulaymaniya) par l’emploi d’armes chimiques en mars 1988. À la suite de la guerre du Golfe de 1990 les Kurdes ont pu établir une zone autonome au nord de l’Irak. En 2003, les Kurdes ont soutenu l’intervention américaine en Irak. La nouvelle Constitution irakienne adoptée par référendum en 2005 reconnaît une très large autonomie au Kurdistan.

Pourtant, comme lu sur le Courrier international: «Cette zone kurde – la plus calme et la plus prospère – n’est pas épargnée par les troubles, comme le montrent les émeutes de Halabja. Le 16 mars dernier, de violentes émeutes ont éclaté lors de la commémoration de l’attaque chimique de 1988 sur la ville kurde de Halabja. Sans surprise, ils ont profité de la présence des représentants du gouvernement régional [la région est autonome depuis 1992] pour exprimer leur frustration et leur colère. (…) Certes, la situation des Kurdes s’est améliorée en quinze ans d’autonomie. Pourtant, le manque d’infrastructures est bien réel, non seulement à Halabja, mais aussi dans le reste du Kurdistan irakien. La colère du peuple vise à juste titre les leaders politiques kurdes et leurs partis (…). La pauvreté, la colère et la frustration génèrent un environnement favorable à la montée du fanatisme. Au Moyen-Orient, des groupes islamistes oeuvrent à la récupération du mécontentement populaire. (…) Une bonne gouvernance, qui répond aux demandes du peuple, constitue la meilleure façon d’honorer les rêves et la mémoire de ceux qui sont morts pour la liberté et la démocratie au Kurdistan.»

Les Kurdes de Turquie

La construction de la Turquie kémaliste se fait dès 1923 sur le déni du fait d’une très forte minorité kurde en son territoire. (…)Il fallut plus de 2 ans à l’armée turque pour prendre Dersimou; la résistance populaire kurde résista à 3 corps d’armée. La répression fut d’autant plus violente qu’elle avait coûté cher en hommes et en matériel. D’après le P.C. de Turquie de 1924 à 1938 il y eût plus de 1,5 million de Kurdes déportés ou massacrés. Dans les années 1980, la région du Kurdistan est placée sous état d’urgence, quadrillée par les forces armées et les groupes paramilitaires turcs. (…)Cependant, le 27 juillet 2009, le président turc, Abdullah Gül, a reconnu dans un entretien que les Kurdes n’avaient pas les mêmes droits que le reste de la population, rompant ainsi avec plus de 85 ans de déni.

En 2012,  et suite au feuilleton du leader Ocalan qui a échappé de peu à la peine de mort , commuée plus de 700 détenus kurdes observaient une grève de la faim dans les prisons du pays. La romancière Oya Baydar s’indigne du chantage à la peine de mort que le Premier ministre turc oppose à leurs revendications. Les grévistes de la faim kurdes réclament la fin de l’isolement de Abdullah Öcalan, emprisonné depuis 1999, le droit de s’exprimer en kurde devant un tribunal et l’instauration de l’enseignement en kurde dans les écoles(…).

Les Kurdes de Syrie

Les Kurdes et les non-Arabes forment 10% de la population de la Syrie; un total d’à peu près 1,9 million de personnes. Cela fait d’eux la minorité la plus importante de ce pays. La population kurde est concentrée principalement au nord-est et au nord mais il y a aussi des populations significatives à Alep et à Damas. Plusieurs techniques sont utilisées pour minorer l’identité kurde en Syrie: différentes lois interdisent l’utilisation de la langue kurde, peuvent interdire la reconnaissance des enfants sous des noms d’origine kurde, les noms de lieux géographiques en langue kurde sont remplacés par des noms arabes, et enfin les écoles privées kurdes et certains livres sont interdits. C’est assurément une spécificité du parti Baâth que de nier les identités comme cela est arrivé en Algérie avec un parti unique qui embrassait la même doctrine.

Pour la période actuelle de la tragédie syrienne, Rudaw Amir Sharif un éditorialiste du journal du Kurdistan irakien Rudaw s’inquiète du silence du sort des Kurdes syriens face aux jihadistes : «Les grands médias occidentaux sont très rares à se faire l’écho des violences religieuses dont sont victimes depuis plusieurs semaines les Kurdes du nord de la Syrie.» Selon des médias kurdes et l’Observatoire syrien des droits de l’homme(Osdh), les milices du Front Al-Nosra et celles de l’Etat islamique en Irak et au Levant mènent des sièges et des offensives contre les comités de protection du peuple kurde (YPG, milice kurde) et tuent, kidnappent, dépouillent, séquestrent et torturent des civils comme des combattants.(…)

L’ambivalence des Kurdes syriens

Dans la tragique situation de la Syrie, la position des Kurdes est énigmatique, ils ne sont pas contre le combat du  Conseil National Syrien,qui ne les reconnait pas en tant qu’entité autonome, et dans le même temps ils combattent les Jihaidstes d’Al Nosra, qui se battent conte Bachar Al Assad.

« Muhammad Ismaïl, membre du bureau politique du Conseil national kurde, explique, dans un entretien à Courrier international, pourquoi les Kurdes n’ont pas pu s’entendre avec le Conseil national syrien: ««Les Kurdes, en tant qu’opposants de longue date, constituaient un mouvement déjà organisé, mais divisé. La première tâche a été de réunir l’opposition kurde sous une seule bannière. (…) Nous ne sommes pas parvenus à un accord, mais je tiens à dire que le dialogue continue. Le CNS n’a pas accepté nos propositions, à la fois sur la question kurde et sur l’avenir de la Syrie. Nous demandions un droit à l’autodétermination pour les différentes composantes de la société syrienne. Mais le mot autodétermination a fait peur au CNS (…) Notre mouvement est pacifique et nous ne voulons pas prendre les armes. Bachar El-Assad n’a pas attaqué les régions kurdes pour l’instant, et nous ne voulons pas nous sacrifier comme nous l’avons fait à plusieurs reprises par le passé sans que cela donne de résultats. (…) »

«  Nous ne voulons pas poursuit Muhammad Ismaïl de scénario à l’irakienne et nous ne souhaitons pas la partition du pays. Certains éléments kurdes comme le PYD ou le PKK souhaitent l’autonomie ou l’indépendance, mais ce n’est pas le cas du conseil national kurde. Nous faisons partie des vingt-deux millions de Syriens. (…)Les Kurdes syriens représentent 10% de la population du pays. Mais ils font également partie d’un peuple transfrontalier, dont d’importantes populations vivent en Turquie, en Iran (13 et 6 millions), et en Irak (6 millions). Depuis l’instauration d’une réelle autonomie pour les Kurdes irakiens après la chute de Saddam Hussein en 2003, les pays de la région craignent une contagion. (…) Les Kurdes syriens ne sont pas prêts à s’allier avec le CNS, notamment en raison de sa proximité avec Ankara, qui s’opposera à toute velléité de reconnaissance de l’existence d’un peuple kurde.»

La période récente: l’idée d’un «Grand Kurdistan»

Pour la période récente, c’est à la conférence de paix de Paris (1919) que se décida le sort des Kurdes. En 1920, le traité de Sèvres prévoit la division de l’Empire ottoman et évoque la possible autonomie des provinces kurdes avec à terme la création d’un État kurde indépendant. Celui-ci ne verra jamais le jour. En 1923, le peuple kurde est placé sous l’autorité de quatre pays: la Turquie, l’Iran, la Syrie (protectorat français) et l’Irak (protectorat britannique). Quatre-vingt-cinq ans plus tard, le Kurdistan reste un territoire mythique, sans frontières reconnues, et les Kurdes une nation sans État. Niés dans leur identité, les quelque trente millions de Kurdes du Moyen-Orient n’ont pourtant cessé de lutter pour faire reconnaître leurs droits culturels et politiques, face à des États centralisateurs et répressifs. Mais les divisions linguistiques et religieuses les ont conduits à lutter en ordre dispersé.

Un déni identitaire sur fond de richesse en pétrole et en eau

Le Kurdistan n’a pas de frontières, c’est un pays qui n’existe plus sur les cartes géographiques où il était indiqué du temps de l’Empire ottoman. Actuellement, seule est appelée «Kurdistan» une partie des provinces kurdes de l’Iran. Le problème des Kurdes est leur atomisation à l’intérieur de frontières appartenant à des Etats différents. En fait, la Grande-Bretagne avait un mandat sur l’Irak et elle était très intéressée par les réserves de pétrole de Mossoul. Dans le tracé de frontière franco-syrienne, la France, mandataire de la Syrie, intègre 3 zones de peuplement kurde: Djezira, Kurd-Dagh, Arab-Pinar. En Syrie en 1961, on commence à accuser les Kurdes de menées contre l’arabisme. En 1962, le gouvernement lance le plan dit de ´´la ceinture arabe´´ prévoyant d’expulser toute la population kurde de la région de Djazira le long de la frontière turque et de la remplacer par des Arabes. La découverte de pétrole à Karatchok n’est certainement pas étrangère à cette politique. C’est en Irak surtout que le sort des Kurdes fut le plus tragique, puisque dans les faits on assiste sous l’impulsion du Baâth à une destruction méthodique de l’identité kurde (…) »

« En 1974, la guerre reprend sous l’impulsion du vieux leader charismatique Mustapha Barzani, soutenu par l’Iran mais en 1975, l’Iran et l’Irak signent l’accord d’Alger, le mouvement de Barzani choisit de se rendre. A partir de ce moment l’Irak adopte une politique d’arabisation dans les régions kurdes pétrolières et frontalières; une centaine de milliers de Kurdes sont déplacés vers le sud ou vers la région ´´autonome´´. 1 500 villages seront supprimés; les Kurdes seront dispersés par petits groupes dans des villages arabes ou regroupés dans les ´´villages stratégiques´´» 

«L’autre grand problème des Kurdes est leur émiettement, chaque pays kurde bataille pour son indépendance ou au mieux son autonomie à l’intérieur du pays auquel il est rattaché. Les guerres du Proche Orient les opposent parfois; ainsi en Irak, le Parti démocratique du Kurdistan d’Irak, qui lutte pour l’indépendance kurde n’hésite pas à s’allier à l’Iran khomeïniste (…) Monsieur Talabani affirme: ´´Laissez les oppresseurs se battre contre les oppresseurs, si les Iraniens attaquent les postes irakiens, nous laisserons faire… mais si les Iraniens attaquent la zone que nous contrôlons, nous la défendrons´´.(…) En Iran, ce sont 12.000 Peshmergas du Pdki et 3000 du Komala qui contrôlent actuellement 70% du Kurdistan iranien » 

Un peuple existe avec sa culture et son identité. Encore une fois, les leaders ne sont pas souvent à la hauteur des défis pour des raisons de prestige et d’ambition personnelle dmesurée. L’histoire rendra un jour justice à ce peuple qui ne demande qu’à vivre sa vie, et à protéger son identité qui est une richesse. Les calculs à la Sykes-Picot ont eu raison il y a un siècle de leur souhait mais la résilience de ce peuple fera qu’il renaîtra en tant que nation si tous les Kurdes du monde se donnaient la main.

 
Источник: mondialisation.ca